Course

Le Grand-Prix Masters à Donington

"What a fantastic weather !" s'exclament les anglais que je croise en ce début septembre. Pour moi qui arrive d'Italie, il fait frisquet et j'ai du ressortir les petites laines tandis que je scrute d'un œil inquiet les nuages dans le ciel… Je viens de franchir les grilles d'entrée du circuit et tente de me diriger au son des hurlements de moteurs qu'on fait chauffer à petits coups d'accélérateur rageurs. Je gravis finalement quatre à quatre l'escalier menant à la tribune principale qui domine la grille de départ, juste à l'entrée des stands. Des mécaniciens sont en train d'évacuer la piste où une quinzaine de monoplaces s'ébranlent vers la gauche pour le tour de chauffe, derrière une Porsche Cayenne qui fait office de pace-car.
040910_0091

La tribune fait caisse de résonance et le vacarme est déjà insoutenable. Une jeune femme à côté de moi se ratatine sur son siège, les mains sur ses oreilles, le visage crispé par la douleur ! Une minute plus tard, à notre droite réapparaît la meute, la Porsche prend la bretelle des stands et quinze pilotes mettent le pied au plancher. Le grondement qui s'ensuit fait l'effet d'une déflagration, j'ai du mal à trouver mon souffle et déjà, filant sur la gauche, les voitures atteignent le bout de la ligne droite, descendent deux vitesses et s'élancent à droite dans le virage de Redgate. À ce moment précis, la machine à remonter le temps s'emballe : des spectateurs pointent le doigt vers le ciel. Je lève la tête pour voir un Spitfire survoler le circuit à basse altitude. Le bourdonnement grave de son moteur Rolls-Royce Merlin semble étrangement léger… Il bat des ailes et le public laisse échapper une ovation empreinte d'une fierté toute britannique ! Mais déjà le vacarme de la piste reprend le dessus alors que les monoplaces bouclent leur premier tour de course.
040910_0466

En tête les Arrows A4 oranges de Riccardo Patrese et Mauro Baldi, aux couleurs des céramiques italiennes Ragno, sont poursuivies par la Tyrrell 009 bleu marine de Didier Pironi et la March 761 rouge de Ronnie Peterson, tandis que la Wolf WR1 de Jody Sheckter ferme la porte à la Lotus 87 en livrée John Player Special d'Elio de Angelis. En fond de peloton passe la Matra MS80 bleue et blanche de Jean-Pierre Beltoise, et mon voisin me touche le coude avec un clin d'œil : "Çà, c'est fwançais…" La foule des passionnés est collectivement plongée dans un rêve étrange…

En réalité, nous sommes au XXIème siècle, en 2010 précisément, sur le circuit de Donington où se déroule la 5ème manche du championnat des Grand Prix Masters. Peterson, De Angelis et Pironi ont péri de mort violente en exerçant leur dévorante passion pour la vitesse, l'ex-champion du monde Sheckter est devenu un gentleman-farmer "bio", tandis que Patrese, Baldi et Beltoise font la joie des journalistes et de leurs lecteurs lorsqu'ils racontent le temps, pas si lointain, où chaque dimanche ils mettaient leur vie en jeu, dans des courses automobiles qui n'ont plus rien à voir avec celles d'aujourd'hui…
P1060231

Mais leurs montures font toujours le spectacle ! Les Formule 1 des années 70 ne s'encombrent pas d'électronique, d'automatismes, ni de dispositifs d'assistance : coques en aluminium, châssis tubulaires, amortisseurs à ressort, un minuscule levier de vitesse situé à droite du tableau de bord où trône, tout seul, un gros compte-tours à aiguille, tout rond… Elles sont toutes animées par un moteur Ford Cosworth DFV de 3 litres de cylindrée qui délivre ses 500 CV aux roues arrières par l'intermédiaire d'une boîte de vitesse Hewland. C'est cette standardisation qui rend possible le spectacle auquel j'assiste aujourd’hui, ébahi, subjugué par l'agressive beauté de ces vieilles demoiselles…

Dans les baquets de ces F1 d'une époque révolue, à la place des héros d'hier, s'affrontent aujourd'hui de véritables gentlemen-driver. Ne serait-ce qu'à cause du bruit démentiel qu'ils font à chaque tour, on en vient à respecter le courage qu'ils déploient pour maintenir sur la piste des monstres pareils. Ils sont anglais, hollandais, italiens, français, américains. Ils sont riches, certes, car la voiture la meilleur marché évoluant sous nos yeux coûte dans les 100 000 € lorsqu'elle change de mains. Et pour certaines d'entre elles, il faut ajouter un zéro… Mais on sent bien que, pour eux, il ne s'agit pas d'étaler son argent, ni de se montrer : quelle que soit leur place à l'arrivée de la course, lorsqu'ils descendent de leur monoplace et arrachent leur cagoule ignifugée, leur visage trempé de sueur est barré d'un sourire rayonnant ! Leurs yeux brillent intensément et ils échangent de vigoureuses claques sur le dos avec leurs mécaniciens, couverts de cambouis, une bière à la main. En cette fin d'été anglais, on se sent loin du monde des sponsors et des déclarations "politiquement correctes" dans les conférences de presse qui étouffent la F1 d'aujourd'hui. Ici, le plaisir règne.
P1060233

Et tout est fait pour que les spectateurs en profitent ! Pour la modique somme de 16 £ (18 €), on peut visiter tous les recoins du mythique circuit de Donington, où Ayrton Senna signa sa mémorable victoire dans le Grand Prix d'Europe 1993. Même la pit-lane des stands est un endroit ouvert à la promenade, où les pilotes comme les mécaniciens sont heureux de discuter ou de faire admirer l'objet de leur passion. Tout au long du week-end se succèdent les formules et les courses. La classe "Sportscar Masters" rassemble les prototypes qui firent la gloire des 24 heures du Mans dans les années 60 : Ford GT40, Chevron B8, Lola T70, McLaren M1, Matra 670 accompagnées de leur faire-valoir, les Corvettes et Porsche 911. Les "Sports Racing Masters" font revivre les versions "racing" des Jaguar type-E, AC Cobra, Aston Martin, Marcos, Lotus et Ford Mustang…

L'ambiance autour du circuit est typiquement… British ! Les membres des clubs Lotus, Aston-Martin, Porsche, TVR, Ferrari et j'en oublie sûrement, garent ensemble leurs rutilantes montures dans des enclos ouverts pour les faire admirer au public. Les maisons d'enchères spécialisées exposent aussi leurs merveilles : vous recherchez une Mercédès 300 SLR classée en son temps aux Mille Miglia ? Ou une Jaguar Type-D classée au Mans ? Mais si, c'est possible ! En cas de petite faim, des baraques servent des fish-and-chips gargantuesques et des hamburgers au goût doucereux, tandis que les pintes de bière (50 cl) sont réservées aux demoiselles : ici, les gentlemen trinquent exclusivement avec des double-pintes !
040910_0344

Le circuit est mitoyen de l'aéroport de Nottingham, plus connu sous le nom de East Midlands Airport, qui est desservi par quantité de compagnies low-cost (Ryan Air et BMI Baby, entre autres). À cinq minutes du circuit, par bus, se trouve le charmant village de Castle Donington où Mrs Prince tient le Bed & Breakfast dénommé “Donington Cottage”. Je vous le recommande tout particulièrement, à la fois pour la gentillesse de l'hôtesse, la propreté immaculée des installations et pour son breakfast pléthorique composé d'œufs, haricots en sauce, bacon, saucisses, fromages, yaourts, toasts, marmelades, sirop, jus de fruits, thé, café…
Good view Frount of Don Cot

Faut-il le préciser ? Le "fantastic weather" vanté par les amis anglais qui m'accueillaient au circuit s'est, durant le week end, plusieurs fois changé en crachin ou en petite averse fraîche. Celà n'a troublé personne, les spectateurs gardant le plus souvent leur t-shirt ou se couvrant, au mieux, d'une casquette, tandis que le spectacle en profitait, comme en témoigne cette Lola T70 dont le pilote jugea mal des effets de la pluie sur l'adhérence, et qui fit sous nos yeux une impressionnante série de tête-à-queue dans l'herbe à plus de 200 km/h… sans rien casser ! “What a bloody good day !" clamait-il jovialement à la ronde en s'extirpant de son cockpit, après la course… J'étais d'accord avec lui à 100% !